Chili - Cañete - Chroniques d’un procès politique du 29 Novembre 2010 par Michael Barbut (4)

Publié le par Collectif Mapuche

 

OBSERVATEUR INTERNATIONAL (mandaté par France Libertés)

 

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Lundi 29 Novembre 2010

 

La semaine commence comme elle avait terminé, le ministère public appelle un policier à la barre pour témoigner, les travées de la salle réservée au public sont vides. Une petite dizaine de personnes présentes.

 

Le témoin est un policier chilien qui a fait parti de l’expédition au cours de laquelle le procureur Elgueta a été attaqué. Il est appelé à raconter l’attaque « dirigée » (selon la version du ministère public) contre le procureur Elgueta. Il était à bord du quatre-quatre fermant la caravane de véhicules policiers. Sa version est sensiblement similaire aux précédentes versions. Il parle d’une attaque ayant duré dix minutes quand les autres témoins la décrivent comme un peu plus longue.

 

Nouveau témoin. Nouveau policier. Nouvelle déclaration sur l’attaque au procureur Elgueta. Nouvelle version ? Pas vraiment. Le témoin dirigeait un véhicule intégré à la caravane du procureur Elgueta. Il était dans le même véhicule que celui du précédent témoin. Sa version est similaire à la précédente. Il affirme que les premiers tirs provenaient des auteurs de l’attaque et qu’ensuite les intégrants de la caravane, les forces de l’ordre, ont répliqué. L’enjeu est de montrer qu’il s’agissait bien d’une attaque, les premiers tirs ont été adressés par les accusés, les membres de la caravane n’ont fait que répondre à l’attaque dont ils étaient victimes.

Il s’épanche aussi sur l’attaque dont a été victime un capitaine de police plus tôt dans la journée.

Seul un des six avocats de la défense s’adonne à la contre-interrogation, montrant ainsi que le témoignage n’apporte aucun nouvel élément à l’accusation.

 

Un nouveau témoin est appelé à la barre. Il s’agit d’un membre de la police de renseignements chilienne (PDI). 17 ans de service. A partir de 2008, il fait partie de la « fuerza del Bio-Bio », brigade spéciale de la PDI créée la même année, ayant pour but de mettre sur pied une équipe capable de mener à bien une enquête sur les délits agitant la province d’Arauco, parmi lesquels il cite le vol de bois, des vols violents, différents types d’attaques contre des personnes. C’est le ministère public de la région Bio-Bio (Octava region de Chile) qui est à l’origine de la création de cette brigade spéciale en Octobre 2008. Cette brigade est composée d’environ dix intégrants. Le témoin, appelé à déclarer en tant que victime a suivi des séminaires et des formations sur différentes thématiques : crime organisé, renseignement général, capacité de gestion de situations critiques, cours d’anglais, etc. Sa hiérarchie l’a récemment classé à la première position d’un classement interne à sa brigade d’intervention. Bref, le témoin est digne de confiance et l’exhibition de ces titres a pour but de donner du crédit à son propos. C’est une manière de légitimer son expertise utilisée à de nombreuses reprises par le ministère public.

Sur le même mode qu’Elgueta, il est appelé à témoigner en tant que victime de l’attaque survenue dans la nuit du 15 au 16 Octobre, or le cœur de son intervention s’articule autour du travail qu’il a effectué en tant qu’inspecteur de la PDI.


A partir des rapports effectués par l’équipe du procureur Elgueta, il travaille sur le vol de bois, les vols avec intimidations, attaques à personnes et incendies à la propriété privée. On s’est rendu compte que dans le secteur de Puerto Choque, précisément un lieu nommé « La Puntilla » et dans le secteur de Tranaquepe, propriété Labranza, il y avait un groupe organisé, une organisation formelle qui s’adonnait au vol de bois. Cette organisation avait un organigramme, différents membres, des actions définies et une fin commune. On a réussi à déterminer différents groupes : le premier se consacrait à l’exploitation du bois, un second à la soustraction et à son stockage, il y avait un autre groupe chargé de la commercialisation. Enfin, un dernier groupe avait pour mission de prêter une assistance armée à ces délits afin d’en assurer l’exécution.

Il déclare que les principales victimes des exactions, citées précédemment, sont Forestal Mininco et des fonctionnaires de police chargés de protéger les propriétés des entreprises forestières sujettes à des actions délictueuses. Aussi quelques particuliers ont été victimes d’incendie et d’attaques à leur propriété.

On a réussi à montrer que les travailleurs des entreprises forestières devaient travailler sous protection de forces de police, ces travailleurs ayant été attaqués à quelques reprises. Il donne l’exemple d’un camion chargé de bois, qui a été attaqué, alors qu’il était escorté par des fonctionnaires de police.

Il révèle l’existence de plus de six cent plaintes de « Forestal Mininco » pour vol de bois au cours de l’année 2008.

Le ministère public lui demande d’identifier plus précisément l’organisation qui s’adonnait au vol et à la commercialisation de bois.

Pour ce faire, il invoque des observations sur le terrain qu’il a réalisé, des écoutes téléphoniques auxquels il a eu accès, les dires des témoins protégés et d’autres témoignages d’anonymes sur le terrain. C’est à partir de ces différents matériaux qu’il arrive à la conclusion que ce groupe disposait d’un leader, Hector Llaitul Carillanca, un groupe de travail chargé de protéger physiquement les extractions de bois, composé de Ramon Llanquileo, Hector Llaitul, Jose Santiago Huenuche Reiman, chargé par ailleurs de la commercialisation du bois volé. Jonathan Huillical Méndez était lui aussi chargé à travers la protection armée de couvrir le vol de bois. Enfin, on trouvait aussi dans ce groupe chargé de la protection des délits Luis Menares Chanilao.


Il y avait un autre groupe chargé de l’exploitation et de l’extraction du bois dans lequel on trouve les frères Parra, qui travaillait aussi à la commercialisation du bois, ainsi que Segundo Ñeguey Ñeguey.

Il rappelle à nouveau qu’il a réussi à élaborer cet organigramme grâce à des témoins vivant dans la zone de perpétration des faits, qui, par peur d’être attaqué, n’ont pas voulu témoigner devant un procureur, mais aussi à travers d’écoutes téléphoniques et de témoins qui ont accepté de témoigner sous réserve de préservation de leur identité et de mise en place de mesures de protection.

En outre, il dit avoir été au moins à cinq reprises sur le terrain et avoir vu les personnes chargées de l’extraction. En revanche, il n’a pu identifier les personnes chargées de la protection, car elles réalisaient cette activité à visage masqué. C’est pourquoi ces informations lui ont été fournies par des témoins. A la question : « Vous avez pris des photos de ces sujets en action? », il répond qu’il n’a pas pu car il était risqué et difficile de nous équiper d’appareils photos. Lui et son équipe ne connaissaient pas bien le secteur, c’est pourquoi mise à part son arme de service, il était préférable de ne pas s’encombrer.

L’organisation, dont il a parlé jusqu’à présent, il l’identifie comme la CAM. Il est arrivé à cette conclusion grâce aux écoutes téléphoniques réalisées sur le téléphone d’Hector Llaitul, qui était en charge d’informer le réseau de soutien, notamment les administrateurs de la page internet Quilapan.

L’objectif de cette organisation était la « récupération productive de terres » dans le secteur, à travers du « contrôle territorial », qu’ils entendaient exercer par la violence, l’intimidation de particuliers, l’interdiction d’entrée d’étrangers sur leur territoire, etc.

Ces actions ont commencé bien avant que l’on commence notre travail d’enquête dans la zone et se sont étendues jusqu’au 11 Avril 2009, date à laquelle nous avons interpellé une partie importante du groupe qui menait à bien ces opérations.


La maison des Parra servait de plate-forme pour stocker et distribuer le bois. La CAM est confondue avec une organisation chargée d’extraire du bois et de le commercialiser.

Il cite des faits violents dont il a eu connaissance au cours de l’exercice de sa fonction dans la zone. Pour exemple, le camp Ranquilhue a été attaqué avec des armes, notamment une arme de gros calibre. A plusieurs reprises les travailleurs des entreprises forestières ont été menacés. Environ 40 sujets avec capuches ont attaqué le commissariat de Tirua. Le camp Labranza a été attaqué environ une dizaine de fois.

A partir des détentions du 11 Avril 2009, ces attaques, ces incendies, les plaintes pour vol de bois prennent fin.

Selon le témoin, il y avait un lien entre les délits réalisés, les conversations téléphoniques et des publications sur internet.

 

La seconde partie de son témoignage porte sur l’attaque du 15 Octobre contre la caravane du procureur Elgueta. Sa version est parfaitement similaire à celle d’Elgueta sur la journée du 15 Octobre. Il était dans le même véhicule que ce dernier lors de l’attaque.

« Le 15 Octobre à la mi-journée, des policiers sont attaquée par des sujets « encapuchés ». Nous nous sommes rendues au fond Labranza (propriété de Forestal Mininco) pour avoir plus d’informations sur les faits du jour. Vers 18h30, on apprend que Santos Jorquera avait été menacé chez lui par des sujets armés. A partir de là, Elgueta décide d’aller prêter assistance à Jorquera… » La suite ressemble à ce qu’a dit Elgueta quelques jours plus tôt. La caravane est par exemple composée du même nombre de véhicules que dans la version d’Elgueta. Le témoin insiste sur la violence de l’attaque, la concentration de tirs sur le véhicule qu’il occupait. Suite à l’attaque, il a été hospitalisé un mois. « Cette attaque est celle qui, de loin, au cours de ma vie m’a le plus exposé à la perte de ma vie », déclare le témoin. Pour lui, il n’y a aucun doute, il y avait une claire volonté d’éliminer le procureur Elgueta.

 

Après cette longue déclaration de plusieurs heures, la parole revient à la défense. Une des avocates, en charge de la défense de Jonathan Huillical Mendez, demande au témoin de répondre des faits de violence perpétrés par le témoin lors du transfert de son client de Temuco à Concepción suite à son interpellation. Le témoin nie l’accusation.

De manière générale, la défense entend montrer l’existence de certaines contradictions et insuffisances dans les déclarations du témoin. Deux exemples : la défense entend montrer que les raisons invoquées pour ne pas utiliser d’appareils photos lors de l’enquête sont quelque peu légères. Aussi, aucune enquête sur les mouvements bancaires du compte de Jose Huenuche Reiman supposé responsable de la commercialisation de bois.

 

Après quatre jours d’observation du procès, et le témoignage-accusation d’une dizaine de fonctionnaires de police et autres experts techniques appartenant à la police d’investigation chilienne, il apparait évident que le ministère public, démuni de preuves tangentes, entend mobiliser tout le poids de l’expertise et la sacralité de la fonction des agents qui témoignent pour condamner. Ce n’est pas tout, en faisant défiler les témoins, en les faisant répéter la même version des mêmes faits et enfin, en cherchant en permanence à mettre en évidence la terreur distillée dans la zone par les imputés, le ministère public veut introduire dans l’esprit des juges la nécessité de condamner ces derniers, au nom de l’ordre public et du sacro-saint modèle d’investissement néolibéral. Nécessité fondée non pas sur l’évidence de la preuve mais sur le doute de la possibilité.

 

Michael Barbut

Publié dans Témoignages

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