PROCÈS À PARIS POUR RENDRE JUSTICE AUX DISPARUS FRANÇAIS AU CHILI ETIENNE PESLE DISPARU À TEMUCO, CHILI, LE 19 SEPTIEMBRE 1973.

Publié le par Collectif Mapuche

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Etienne Pesle est l’un des quatre détenus français disparus au Chili, lors du coup d’Etat des militaires chiliens, en septembre 1973. Après une longue attente de douze années, les responsables de ces disparitions seront jugés par la Justice française à la Cour d’Assises de Paris, entre le 8 et 17 décembre 2010.

 

Les tribunaux chiliens n’ont jamais donné suite aux requêtes des familles, malgré les nombreuses plaintes déposées afin d’obtenir justice. L’impunité accordée aux tortionnaires et criminels est un fait indiscutable. La meilleure démonstration de ce déni est le fait que la Justice Internationale ait dû prendre en charge ces plaintes, après 37 années écoulées depuis le coup d’Etat et après les infatigables efforts des familles dans la recherche de vérité et de justice. Ce n’est pas seulement la France qui juge les crimes et les exactions commis à l’encontre de ses citoyens. L’Italie juge, en ce moment, un autre criminel chilien, l’ancien Procureur Militaire Alfonso Podlech pour la mort et la disparition d’un citoyen italien : Omar Venturelli, disparu à Temuco le 4 octobre 1973. Il faut souligner que, contrairement à la situation en France, où les accusés seront jugés en leur absence, en Italie, Alfonso Podlech est en prison, depuis le 13 août 2008, dans un Quartier de Haute Sécurité à Rome.

 

En France ce procès, entrepris en raison de violations de Droits de l’Homme et pour la Mémoire, est symbolique. Les responsables, malheureusement, ne seront pas sur le banc des accusés malgré les mandats d’arrêt internationaux lancés à leur encontre depuis des années. La France est l’un des rares pays où la justice est habilitée à juger par contumace, c’est-à-dire, sans la présence des accusés. Tel a été le cas des religieuses françaises arrêtées et disparues en Argentine. Jugement à l’issue duquel le capitaine de frégate Alfredo Astiz, plus connu comme « l’Ange de la mort », a été condamné par contumace.

 

Le procès pour les disparitions des quatre Français est inscrit dans une procédure judiciaire établie contre dix-neuf accusés chiliens, quatorze aujourd’hui, la plupart des militaires et quelques civils étant accusés de séquestrations accompagnées de tortures. Parmi ces accusés on trouve le Général Pinochet, dont l’extradition a été requise par la France en 1998, le général Contreras, Osvaldo Romo, Paul Schaeffer (de la Colonie Dignidad). Certains de ces accusés sont déjà morts, d’autres enfermés dans des prisons luxueuses (« cinq étoiles ») et d’autres profitent de la vie et de la chape d’impunité qui les protège.

 

Normalement, lors de ce type de procès la justice française (malgré les reports successifs et retards dans la procédure judiciaire) agit avec rapidité pour rendre ses verdicts. C’est-à-dire, qu’après les dix jours d’audience, la justice française sanctionnera immédiatement en condamnant l’ensemble des accusés pour les quatre cas des disparus français : Alphonse Chanfreau, Etienne Pesle, Jean-Yves Claudet Fernández et Georges Klein.

 

 

Derrière chaque victime, il y a un homme, une histoire et une famille. Pour les familles, il y a beaucoup de douleur, des souffrances, des humiliations et surtout un deuil non réalisé. Les corps de leurs êtres chers n’ont jamais été trouvés et les familles n’ont pu obtenir justice. Ces deux raisons expliquent pourquoi ces familles ont lutté pendant des décennies avec l’espoir d’obtenir un peu de vérité et de justice.

 

Je n’ai pas connu, personnellement, Etienne Pesle à Temuco, la ville où je résidais aussi et que j’ai été forcé de quitter. Son histoire, je peux le dire, je la connais assez bien. En 1981, j’ai retrouvé en exil, à Paris, son épouse Haydée et ses fils. Depuis cette époque nous sommes amis et c’est ainsi que, peu à peu, j’ai commencé à connaître l’histoire d’Etienne, « Esteban », que je considère exemplaire. C’est l’histoire d’un homme intègre, honnête, très engagé avec la justice sociale et portant un véritable amour d’autrui.

 

Etienne est arrivé au Chili en 1953 en tant que prêtre, membre de la « Fraternité Charles de Foucauld ». Sa vocation religieuse ne l’empêchait pas de mettre à disposition sa compétence de technicien et d’expert en coopératives de logements. Sa condition de prêtre, il l’a exercée jusqu’en 1965. Une année plus tard, une fois son sacerdoce terminé, il s’est marié avec Haydée. Deux enfants sont nés de cette union et un troisième a été adopté.

 

Au moment du coup d’État, le 11 septembre 1973, Etienne Pesle travaillait comme fonctionnaire de l’Institut de Développement Agricole (INDAP) à Temuco, une institution de l’État qui fournissait de l’assistance technique aux coopératives et organisations paysannes créées après les expropriations de grandes propriétés terriennes en application des dispositions de la Loi de réforme agraire.

 

La région de l’Araucanie, au sud du Chili, a été la région où la réforme agraire avait avancé de façon la plus significative, en transformant toute la campagne du sud du Chili. Les anciennes provinces de Malleco et Cautin, aujourd’hui la IXe région du pays, se sont caractérisées par la concentration de la plus grande quantité de domaines et de « latifundios ». Les relations sociales dans la campagne, à la fin des années 60 et début des années 70, peuvent être qualifiées de féodales. Les propriétaires des domaines étaient les maîtres et les seigneurs féodaux, possédant des milliers d’hectares qui contrastaient avec la situation de la grande masse de paysans pauvres, dont les paysans d’origine Mapuche étaient les plus marginalisés.

 

Le gouvernement du Président Allende (1970-1973) avait comme principal axe de son action, le changement de la situation d’injustice sociale, en approfondissant dans la région, le programme de la Loi de réforme agraire héritée du gouvernement de la Démocratie Chrétienne d’Eduardo Frei. L’application et l’approfondissement de la réforme agraire, poursuivie durant le Gouvernement d’Allende, a mobilisé des milliers de paysans concernés par cette loi et ils étaient naturellement des fidèles militants de l’ensemble de la gauche qui soutenait le gouvernement de l’Unité Populaire (UP). Les tensions, l’effervescence sociale et politique de la campagne chilienne ont accentué les conflits sociaux. Les propriétaires terriens des domaines occupés par les paysans et en processus d’expropriation se sont organisés pour résister à la réforme agraire. Pour ce faire, ils ont utilisé tous les moyens légaux et illégaux, pacifiques et violents. Les « gardes blanches » à la campagne, à la fin du gouvernement d’Allende, étaient organisées en groupes paramilitaires qui s’opposaient, les armes à la main, à l’avance de la réforme agraire.

 

Au sud du Chili, on a constaté que le coup d’Etat a commencé vraiment après le « Tancazo du 29 juin 1973 », un coup d’Etat avorté. Plus tard, au mois d’août, le contrôle militaire de la région de l’Araucanie s’est exercé depuis l’air et la terre, les hélicoptères de la Base Aérienne de Maquehue décollaient sans cesse, surtout, vers la région côtière de Temuco. À la fin du même mois, les militaires du Régiment Tucapel de Temuco, rejoints par l’Armée de l’Air sont passés aux actes : ils ont perquisitionné, arrêté et torturé des paysans les accusant d’être des « guerrilleros » (affaire « Nehuentue »).

 

Le jour du coup d’Etat a été le jour de la grande vengeance. La féroce répression déchaînée, dans la région, à l’encontre des partisans du gouvernement démocratique de Salvador Allende n’avait pas de limites. Les propriétaires terriens, les militaires putschistes et les groupes fascistes de « Patrie et Liberté » ont lancé la plus grande chasse à l’homme, jamais connue, dans cette région du sud du Chili. C’est ainsi que le nom d’Etienne Pesle est apparu dans l’arrêté N° 11 et publié dans le journal Austral de Temuco, le 12 septembre 1973, avec beaucoup d’autres militants de la gauche de la région de l’Araucanie.

Etienne Pesle a été arrêté, pour la première fois, le 12 septembre 1973. Le jour suivant, il était détenu à l’intérieur du Régiment Tucapel de Temuco où il a été torturé. Cet endroit se trouvait sous la responsabilité du Procureur militaire de l’Armée de terre, Alfonso Podlech, le procureur des tortures et des Conseils de Guerre, militant de « Patrie et Liberté » et grand propriétaire terrien de la région. C’est le même personnage, comme cela a été déjà signalé, qui aujourd’hui se trouve emprisonné à Rome pour le cas d’un autre détenu disparu de Temuco, Omar Venturelli.

 

Etienne Pesle fut libéré, une première fois, grâce à l’intervention d’un militaire de l’Armée de l’Air. Mais, seulement quelques jours après avoir retrouvé sa liberté, le Ministère public militaire (Fiscalía) dirigé par Alfonso Podlech a lancé sa deuxième arrestation, exécutée par un commando des militaires de l’Armée de l’Air, « un escadron de la mort » qui l’a enlevé des bureaux de l’INDAP, son lieu de travail. On sait, au moins, que l’un des membres participant à l’enlèvement était un militant du groupuscule fasciste « Patrie et Liberté ». Ce commando était composé aussi de quatre militaires de l’Armée de l’Air : Miguel Manríquez, Emilio Sandoval Poo, Mario Ramírez y Jorge o René Parada. On pense que Sandoval Poo était le chef dudit « escadron de la mort » et c’est bien lui qui se trouve dans la liste des accusés du jugement à Paris, avec le Commandant de l’Armée de l’Air de Temuco : Andrés Pacheco Cárdenas.

 

Depuis le 19 septembre 1973, date de sa deuxième détention, Etienne demeure disparu. Jusqu’à aujourd’hui, on ne connaît pas avec certitude les lieux où il a été détenu. Une seule chose est certaine : il a été emmené à la Base Aérienne de Maquehue où il a été sauvagement torturé, selon le témoignage d’un ancien prisonnier politique, prêtre aussi et avec lequel il a pu parler et transmettre le message suivant : « je suis français, je suis prêtre, j’ai deux enfants et je travaille à l’INDAP ».

 

Les “escadrons de la mort”, dont l’un de ceux qui a enlevé Etienne, qui ont agi au sud du Chili étaient constitués par des membres de l’Armée de Terre, de l’Armée de l’Air, des Carabiniers, des policiers des Renseignements, des civils de «Patrie et Liberté », mais tous agissaient sous la direction du Ministère Public (Fiscalía) militaire de l’Armée de Terre qui fonctionnait à l’intérieur du Régiment Tucapel et sous la responsabilité d’Alfonso Podlech. Celui-ci travaillait d’une façon parfaitement coordonnée avec les services de Renseignements de l’Armée de Terre, dirigés par le capitaine Nelson Ubilla.

 

Il y a quelque temps, quand j’ai fait connaître à Haydée Pesle mon intention d’écrire un témoignage sur son époux, elle m’a fait parvenir l’une des dernières photos d’Etienne en signalant que cette photo était la dernière, prise à l’occasion du dernier Noël passé en famille…

 

Le Noël du 25 décembre 1972 est immortalisé par cette photo d’Etienne avec son épouse, prise dans un lieu aux environs de Temuco, peut-être la campagne proche du village de Cajón ou de la ville de Lautaro. Etienne et son épouse, sur la photo, sont radieux, pleins de tendresse et d’amour. Il faisait chaud, ce 25 décembre. C’était l’été et ils avaient rendu visite aux paysans avec lesquels Etienne travaillait. Il apparaît habillé avec des jeans et une chemise bleue… Selon les indications fournies par Haydée, « ce sont les mêmes habits qu’il portait quand il est parti »… Sauf qu’Etienne « n’était pas parti », il a été enlevé par les membres de l’un des « escadrons de la mort » qui ont arrêté tant de gens. Ils l’ont enlevé, juste une semaine après le coup d’État militaire de Pinochet. Etienne résidait à Temuco avec sa famille, composée de son épouse et de ses trois enfants. Aujourd’hui, Haydée continue à vivre avec lui, et n’a jamais oublié les moments heureux que ces photos lui évoquent, qui l’ont accompagnée et continuent à le faire durant les trente-sept ans d’absence de l’être le plus cher.

 

Carlos LOPEZ FUENTES

Ancien prisonnier politique (prison de Temuco). Condamné par un Conseil de Guerre dont le Procureur militaire était Alfonso Podlech.

 

Paris, le 5 décembre 2010.

Publié dans Actualités

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